Le martinésisme

Joachim Martinès de Pasqually
En cette étrange fin de dix-huitième siècle, alors que l'Europe entière se couvrait d'une infinité de sectes et de rites, et que les idées les plus vaines comme les plus sublimes se dressaient une tribune dans les loges maçonniques, apparut en France un homme dont le silencieux labeur fait un curieux contraste aux turbulentes propagandes de la plupart des réformateurs de son temps : Joachim Martinès de Pasqually.

Cet homme, d'un désintéressement et d'une sincérité au-dessus de tout soupçon, s'efforça de ramener aux principes essentiels de la Franc-maçonnerie certaines loges qui s'en étaient très sensiblement écartées à cette époque, par suite d'une série d'évènements qu'il est inutile de rapporter ici.

 

L'Ordre des Elus Coëns

Joachim Martinès de Pasqually apparaît soudainement dans la sphère ésotérique vers 1754. On ne sait rien de certain de son origine. Toujours est-il qu'il commence alors une carrière de théurge et de thaumaturge, et impressionne ses confrères dans les sociétés secrètes et initiatiques de son époque. Il fonde le chapitre des juges écossais à Montpellier en 1754.

La tâche de Martinès était difficile : installé à Bordeaux en 1761 et membre de la franc-maçonnerie bordelaise, il est le fondateur cette même année de l'Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l'Univers. Parcourant successivement, de 1760 à 1772, les principales villes de France, il sélecta au sein des ateliers maçonniques ce qu'il jugea pouvoir servir à constituer un noyau, un centre pour ses opérations ultérieures. Il vint à Paris en 1766 et fonda un temple coën. Délivrant au nom de son Tribunal Souverain, établi à Paris dès 1767, des patentes constitutives aux loges clandestines de province, il n'hésita pas à recruter aussi au dehors les hommes qui lui parurent dignes du ministère qu'ils auraient à exercer.

C'est ainsi que se forma le Martinésisme, un courant de pensée ésotérique, rattaché à la mystique judéo-chrétienne, qui, sous le nom de Rite des Élus coëns, n'est autre chose qu'une branche très orthodoxe de la véritable Franc-Maçonnerie, greffée sur l'ancien tronc et basée sur un ensemble d'enseignements traditionnels très précis, transmis suivant exactement la puissance réceptive acquise par ses membres au moyen d'un travail entièrement personnel. La théorie et la pratique se tenaient étroitement.

L'arrivée de Louis Claude de Saint-Martin

Malheureusement Martinès se laissa entraîner par son zèle à négliger la véritable base de l'institution maçonnique. Tout entier à sa réforme des chapitres Rose-Croix, il méconnut le rôle des loges bleues. C'est alors un de ses disciples, le plus célèbre, bien qu'un des plus éloignés de l'œuvre du maître, Louis Claude de Saint-Martin, qui alla plus loin dans cette voie, et, dès 1777, refuse de participer non seulement aux tenues des loges martinésistes où l'on ne pratiquait que les grades du porche ou maçonnerie symbolique, mais aussi, par exemple aux travaux des loges de Versailles pour des raisons spécieuses de pneumatologie, et de celles de Paris, parce qu'on y enseignait le magnétisme et l'alchimie.

La désagrégation de l'Ordre

Martinès de Pasqually se retira pour les Antilles en 1772 afin de toucher un héritage à Saint-Domingue. Une scission se produisit dans l'ordre qu'il avait si péniblement formé, certains disciples restant très attachés à tout ce que leur avait enseigné le Maître, tandis que d'autres, entraînés par l'exemple de Saint-Martin, abandonnaient la pratique active pour suivre la voie incomplète et passive du mysticisme.

Après la mort de Martinès de Pasqually, le 20 septembre 1774, l'Ordre, victime de la faiblesse de quelques-uns, et malheureusement aussi de l'ambition de quelques autres, avait décliné rapidement. Les compromissions de Willermoz hâtèrent sa ruine. La plupart des frères se replacèrent sous leurs anciennes obédiences : Ainsi firent ceux de l'Orient de La Rochelle, dont la patente constitutive n'est pas ratifiée au-delà de 1776. Les temples coëns de Marseille et de Libourne rentrent dans le giron de la Grande Loge de France. L'Ordre se désagrège. En 1777, le cérémonial n'est plus en usage, semble-t-il, que dans quelques cénacles comme Paris, Versailles, Eu. En 1781, Sébastien Las Casas, troisième et dernier grand souverain des élus coëns (successeur de Caignet de Lester, décédé en 1778), ordonne la clôture des huit temples qui reconnaissent encore son autorité. Mais malgré cette clôture officielle, des élus coëns continuent à exercer la théurgie et à procéder à des ordinations. En 1788, les loges de Paris disparaissaient ; les riches archives qui avaient excité la jalousie de Cagliostro, vendues à l'encan lors de la mort du marquis Savalette de Langes, échurent à deux frères dévoués, puis à M. Destigny, qui les transmit, en 1868, à M. Villaréal, aux bons soins duquel nous devons de les avoir conservées. Depuis longtemps les frères de Lyon avaient failli à leur tache. Leur rite rectifié, qui n'était rien moins que le Martinésisme, surtout après son second remaniement, vit les directoires de ses trois provinces s'éteindre successivement : le Directoire de Bourgogne fut dissout dès le 26 janvier 1810, faute de membres; l'année suivante les autres fusionnaient avec le Grand-Orient, qui avait toujours refusé de les reconnaître.

D'après le texte écrit par Un Chevalier de la Rose Croissante (Albéric Thomas), publié en introduction à la première édition du Traité de la réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles et divines, Paris, Bibliothèque Chacornac, coll. « Bibliothèque Rosicrucienne », 1899.
Complété par d'autres sources.





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