La métamorphose au moyen-Age

Métamorphose
Qui parle de métamorphose au Moyen-Âge parle d’Ovide. C’est sous ce titre en effet qu’est désignée au XIV° siècle la fameuse adaptation plus connue sous le nom d’Ovide moralisé. Il faut attendre le XVI° siècle pour trouver en ce terme un nom commun synonyme de transformation. Encore n’est-il guère employé dans son sens propre ni dans un contexte mythologique, mais plutôt dans un registre poétique : la lyrique amoureuse et la polémique religieuse évoqueront les métamorphoses métaphoriques des amants ou des convertis qui passent d’une cause à l’autre.

Au Moyen-Âge, à défaut du mot, inséparable de l’œuvre d’Ovide, on connaît bien la chose. La littérature latine et vernaculaire multiplie les récits de « muances » et de « mutations » d’hommes en bêtes, les histoires dont les héros « sont faits », « deviennent » des animaux. La métamorphose d’un être, c’est à dire son passage d’un règne à l’autre de la nature, relève en effet des archétypes de l’affectivité humaine.

 
 

La métamorphose se retrouve dans tous les registres

Métamorphose
On retrouve une osmose dans les différents registres culturels : christianisme et paganisme, culture savante et culture populaire, latin et langues vernaculaires.

Une première opposition, entre christianisme et paganisme, est la seule approche pertinente du thème jusqu’au XII° siècle, puisque les seuls textes à raconter des histoires de métamorphoses, dans la seule langue littéraire, le latin, sont des textes apologétiques. Or, pour les théologiens du Moyen Age, la croyance à la métamorphose relève des superstitions païennes dont ils déplorent la survivance car elle remet en cause le pouvoir créateur de Dieu.

Dans les mythologies païennes, la frontière est indécise et perméable entre les différents règnes de la nature. Les dieux sont hommes ou bêtes tout à tour ou simultanément. L’homme peut être l’objet d’une métamorphose, animale ou végétale, définitive ou temporaire.

 

Un châtiment ou une vengeance

Dans l’œuvre d’Ovide, ces transformations sont dotées de valeurs différentes :
- La métamorphose châtiment est la plus fréquente : le héros est victime d’une vengeance divine, tels Lycaon et Actéon, qui expient leur sacrilège par une métamorphose en loup et en cerf.
- Elle peut en revanche signifier la résurrection et l’immortalisation : l’anémone et le narcisse pérennisent Adonis et Narcisse morts sous leur forme humaine. Les nymphes menacées de viol préservent à jamais leur pureté en mourant et renaissant toutes ensembles dans un laurier, une syrinx ou une source claire.

Mais les dieux magiciens ne font que matérialiser un lien qui existait déjà entre l’homme et l’animal, le végétal ou le minéral. On ne devient que ce qu’on est. Niobé au cœur dur est métamorphosé en pierre. Inversement, si Arachné est si habile tisseuse, c’est que son aventure doit expliquer la naissance de l’araignée.

Le passage qu’est la métamorphose est en quelque sorte appelé par la double nature de l’être.

Une transformation dont on ne revient pas… ou si

Femme métamorphosée en cheval
Ce passage d’un règne de la nature à un autre est le plus souvent à sens unique. On ne voit guère apparaître le phénomène que l’on pourrait qualifier de métamorphose inverse, c’est à dire une seconde métamorphose qui permet le retour à la forme humaine.

La métamorphose cyclique (homme-animal-homme) est pourtant bien attestée dans la mythologie gréco-latine, avec la figure monstrueuse de versipelles, l’être qui, avec une nouvelle peau, endosse une autre nature. Cette légende nous rappelle celle du soucougnan volant de la Guadeloupe qui, quant à elle, prend pourtant ses racines en Afrique. Ce versipelles c’est d’abord un être à double nature, tour à tour homme et bête.

Déjà Hérodote rapporte la superstition selon laquelle les Neures, un peuple de la Thrace, « deviennent loups » quelques jours par an puis retrouvent leur forme humaine. Pline l’Ancien évoque des légendes grecques similaires, dont les héros se changent en loups avant de regagner leur nature première. Il existe toute une littérature sur la lycanthropie, basée sur des croyances ancestrales qui existaient déjà au temps de la Grèce Antique.

 

L’œuvre du démon

On nous dit que « Dieu créa l’homme à son image ». Alors comment un chrétien peut-il admettre le passage de l’humain à l’animal ? La métamorphose pose un problème théologique dès les premiers textes apologétiques. Sur ce point comme sur les autres, les théologiens du Moyen Âge appuieront leur réflexion sur l’œuvre de Saint Augustin et, plus particulièrement, sur un chapitre de La Cité de Dieu entièrement consacré à la métamorphose. C’est pour lui un « perfide jeu de démons » qui relève de deux registres :
Celui de l’illusion
Celui du diabolique

Les démons ne pourraient ni créer ni même altérer la création divine. Ce serait donc avec la permission de Dieu qu’ils joueraient sur les sens des hommes :

Ils modifient en apparence seulement les créatures du vrai dieu pour qu’elles semblent être ce qu’elles ne sont pas.
 

Et pour démonter le mécanisme subtil de cette illusion diabolique, Augustin utilise la notion complexe du phantasticum, du double fantastique qui échappe au contrôle de l’homme quand il est endormi ou engourdi, et que les démons peuvent alors modeler à leur guise. On rejoint alors les principes du dorlissisme et celui des succubes et des incubes qui apparaissent pendant le sommeil. On retrouve également des histoires similaires dans la culture musulmane avec les attaques nocturnes de djinns et les paralysies du sommeil.

Mais Freud nous dirait que dans la pensée augustinienne la métamorphose s’apparente fort à un dédoublement de personnalité. Il ajouterait sans doute que la cause de tout cela est à n’en pas douter un afflux de pulsions sexuelles. Mais c’est une bien piètre réduction de la métamorphose à si peu de choses.

La métamorphose est inséparable de la sorcellerie

Pour les théologiens du Moyen Âge, la métamorphose, « satanisée », est inséparable de la sorcellerie. Pour preuve, on en retrouve trace dans l’un des plus anciens textes consacrés à la sorcellerie : le « canon episcopi » :

Quiconque croit qu’il peut se faire qu’une chose soit changée, en bien ou en mal, ou soit métamorphosée pour revêtir une autre apparence ou un autre aspect, par une intervention autre que celle du Créateur, qui a tout créé et par qui toutes choses ont été créées, est sans doute possible un incroyant.
 

Les théories de la métamorphose à l’époque de la « chasse aux sorcières » tirent leur origine, nous l’avons vu, d’un chapitre de La Cité de Dieu, dans lequel Saint Augustin tente de réduire la métamorphose à une illusion diabolique. Mais malgré les efforts de l’église on continuait à croire aux métamorphoses, et en particulier à celle du loup-garou, qui figurait dans les contes et légendes depuis plusieurs siècles.

La transformation en loup-garou

Cette métamorphose s’accompagne de certains traits typiques :
- pratique de certains gestes rituels ou utilisation d’un objet magique déclenchant la transformation.
- circonstances spatio-temporelles précises (nuit, pleine lune, dans la forêt, un cimetière ou autre lieu isolé)
- Le loup-garou se déshabille pour se métamorphoser et doit retrouver ses vêtements pour reprendre sa forme humaine.
- L’eau a souvent une valeur magique, avant, pendant ou après la transformation.
- Si l’on blesse le loup-garou, il redevient homme.
- Après avoir retrouve sa forme humaine, l’homme conserve les stigmates des blessures qu’il a subit en étant loup-garou.

Le personnage est souvent représenté comme étant la victime d’un sort, d’une malédiction héréditaire ou d’un acte magique.

A la différence d’une sorcière, pour qui la métamorphose est toujours motivée et qui transforme ou se transforme en l’animal de son choix, le loup-garou n’a ni motivation ni choix : il se transforme parce que la métamorphose fait partie de sa nature. Sa nature est elle-même double : il est à la fois homme et à la fois animal. Le loup-garou n’est pas un loup, que cela soit bien clair. Et c’est sans doute pour cela que les loup-garous ont souvent été considérés comme les ennemis jurés des sorciers.

Cependant, au XVI° siècle, les démonologues assimilèrent la transformation lycanthropique aux métamorphoses des sorcières et rangèrent le loup-garou parmi les sorciers.

Les autres transformations monstrueuses

Metamorphose
Le Moyen Âge foisonne d’histoires de filles-biches, de lycanthropes, d’hommes se transformant en cygnes, de licornes, etc. mais on y trouve aussi d’étranges monstres dont certains sont caractérisés par l’absence d’un élément du visage.

Les Arhines : ils n’ont pas de nez

Les Aglosses : ils n’ont pas de bouche et de narines

Les Astomes : ils sont privés de la parole. On situe souvent ces peuplades en Ethiopie ou alors en Inde, sur le côté oriental, aux alentours de la source du Gange. Ils sont velus sur tout le corps et s’habillent avec un duvet de feuille. Ils vivent de l’air qu’ils respirent et des parfums qu’ils aspirent par les narines. Ils ne prennent ni nourriture ni boisson. Une senteur un peu forte peut leur ôter la vie sans difficulté.

On trouve également d’autres types de monstres :

Les Antipodes : Ils ont les pieds tournés à rebours et huit doigts à chaque pied.

Les Pieds-d’Ombre ou Monocoles ou Sciapodes : Ils présentent une jambe unique mais ils sont fort agiles pour le saut. On les appelle parfois sciapodes car l’été quand ils fait très chaud ils se couchent par terre sur le dos pour se protéger par l’ombre de leur pied.

Les Omophtalmes : Ils ne sont pas très éloignés des troglodytes. Ce sont des hommes sans cou qui ont les yeux entre les épaules.

Les Artabatites : Ils possèdent quatre pieds et se déplacent à la manière des bêtes sauvages.

Les Cynocéphales : Ce sont des hommes à tête de chien, vêtus de peaux de bêtes, qui habitent dans les montagnes. Ils aboient au lieu de parler.

Les Pandes : Ceux-ci vivent dans les vallées. Ils vivent deux cents ans et ont les cheveux blancs dans leur jeunesse et noir dans la vieillesse.

La femme-serpent : Le serpent est associé à la luxure.

Souvent ces monstres sont présentés dans des bestiaires et ne sont pas sujets à aucune mutation de l’homme vers l’animal. Ils sont directement décrits sous leur aspect monstrueux. Mais on entre ici dans l’univers des bestiaires monstrueux du Moyen Âge, qui est un autre sujet, mais tout aussi intéressant.


D’après un texte de Laurence Harf-Lancner
Métamorphose et bestiaire fantastique au Moyen Âge (1985)




 

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