Les mouvances satanistes

Satanisme
Qu’est-ce que le phénomène sataniste ? Un phénomène est un objet que l’on constate ou que l’on observe par l’expérience. Il dispose d’une valeur objective et universelle. Le phénomène sataniste regroupe les individus ou les groupes se proclamant satanistes et disposant d’une existence réelle et objective.

Mais qu’est-ce qu’être sataniste aujourd’hui ? Est-ce uniquement se rattacher à l’un des courants du satanisme moderne, ou existe-t-il également des satanistes amateurs, bricolant un satanisme à partir d’un ensemble de matériaux disparates ?

Peut-on considérer que les gothiques, arborant le pentagramme ou le chiffre 666 sur leurs vêtements noirs, sont des adeptes du culte de Satan ?



Dans le même ordre d’idée, les amateurs de musique metal, comme Christian Death (« Mort chrétienne ») ou le médiatique Marilyn Manson, sont-ils peu ou prou des fidèles du Diable ? Les symboles qu’ils arborent et les thèmes qu’ils développent font-ils irrémédiablement d’eux de pieux pratiquants ou, du moins, des satanistes en puissance ?

En réalité, afin de bien comprendre la nature même du dit phénomène aujourd’hui, il paraît nécessaire de distinguer le culte sataniste, voué à Satan ou à Lucifer, de l’imaginaire sataniste, inspiré du phénomène cultuel et dans lequel baignent des individus engagés au sein d’une sous-culture ou d’une mouvance musicale.
 

Le culte sataniste

Culte sataniste
Il y a culte quand des individus ou un collectif vénèrent un être ou un objet privilégié et qu’ils manifestent des signes extérieurs d’adoration. Le phénomène sataniste peut ainsi être approché dans cette perspective cultuelle puisqu’il existe des individus vouant un culte à une entité supérieure, appelée Satan ou Lucifer, présentée dans les autres croyances comme la personnification ou l’image du Mal.

Ce culte se concrétise par la mise en pratique d’une doctrine officielle et de signes extérieurs.

On peut toutefois distinguer deux formes diverses d’expression de ce culte sataniste : des « fondamentalistes » revendiquant et pratiquant ce satanisme doctrinal « pur » et des adeptes « bricolant » un alliage de multiples dogmes et pratiques parfois éloignés du satanisme doctrinal.
 

Les satanistes fondamentalistes

Satanisme
Un sataniste fondamentaliste est un adepte du culte de Satan ou de Lucifer, affilié à l’une des Églises sataniques (pour un « satanique ») ou à la mouvance luciférienne (pour un « luciférien »).

Ils sont « fondamentalistes » dans le sens où ils ne s’intéressent qu’aux fondamentaux, qu’aux enseignements des divers fondateurs de leur courant.

Un satanique, comme un luciférien « sérieux », suit le credo et les pratiques de son Église. A ce titre, il met en pratique ce que les chercheurs en sciences religieuses dénomment un satanisme « doctrinal défini comme l’adoration ou la vénération, de la part de groupes organisés sous la forme de mouvements, à travers des pratiques répétées de type cultuel ou liturgique, du personnage appelé, dans la Bible, Satan ou le diable ».
 

Luciférisme traditionnel et luciférisme orthodoxe

Lucifériens et sataniques ne s’apprécient guère et mettent d’abord en avant leurs différences. Les adeptes du « porteur de lumière » affirment que Lucifer est un être bien plus positif que Satan.

Certes, les disciples de Lucifer – qui sont également panthéistes – ne se rattachent pas au culte de Satan, ni aux enseignements laveyens ; pourtant, des similitudes existent, légitimant leur inscription dans le courant du satanisme. Tels les sataniques, ils vouent un culte à une divinité cornue supérieure souvent rattachée au Mal (Lucifer a été chassé par Dieu pour lui avoir désobéi). Tels les sataniques, ils dénoncent le « Créateur » (ou « Démiurge ») comme l’ennemi et le bourreau des hommes. Tels les sataniques, ils sont fortement contestés et suscitent frayeurs et inquiétudes. Tels les sataniques, ils s’inscrivent dans un courant doctrinal déconsidéré tant par les croyants que par les athées ou agnostiques. Et tels les sataniques, ils mettent en pratique des rituels et des cérémonies marginales inspirés de la lecture d’ouvrages fondateurs.

Les spécialistes du culte de Lucifer distinguent deux types de luciférisme (ou lucifellisme ou luciférianisme). Tout d’abord, la doctrine luciférienne orthodoxe. Cette doctrine est un système de croyances porté par des adeptes vénérant le personnage de Lucifer et les qualités qui lui sont propres. Ce système repose sur des héritages et sensibilités divers : le gnosticisme (qui met l’accent sur le dualisme de l’univers et le caractère maléfique du Démiurge), le schisme de l’évêque italien de Cagliari, Lucifer Calaritanus (les « lucifériens », disciples de cet évêque, étaient opposés aux tenants de l’arianisme, courant de pensée chrétien fondé par Arius au IVe siècle) et le luciférianisme traditionnel.

La doctrine orthodoxe du luciférisme se rattache principalement à cette approche traditionnelle, où Lucifer est défini comme une entité spirituelle ou comme la personnification et le symbole de la sagesse et de la connaissance. Déchu pour avoir apporté la connaissance (« la lumière ») aux hommes, tel un nouveau Prométhée (son surnom est celui de « porteur de lumière »), Lucifer fait l’objet de cérémonies d’adoration ou de vénération. Il est ainsi décrit comme le plus bel ange et le plus puissant d’entre eux. Les adeptes lucifériens, qui attendent le retour de leur messie, mettent en pratique, dans le cadre de leur culte, une nudité totale symbole du caractère égalitaire de chacun des membres.

Les lucifériens et la Wicca

Le luciférisme traditionnel a aujourd’hui pratiquement disparu pour faire place à une doctrine luciférienne wiccane. Le wiccanisme, dont les tenants se disent héritiers des sorciers et sorcières brûlés sur les bûchers, est une mouvance de sorcellerie fondée au milieu du XXe siècle par le Britannique Gerald Brosseau Gardner, ancien fonctionnaire douanier, passionné d’occultisme (proche des rosicruciens et de la théosophie) et auteur de divers ouvrages popularisant les pratiques de néosorcellerie (comme le Livre des Ombres ou Witchcraft Today).

Le contact entre lucifériens et Wicca s’est réalisé en France dans les années septante au mépris des craintes des plus orthodoxes d’un côté comme de l’autre. Aujourd’hui, les deux branches ont quasiment pleinement fusionné. De cette fusion sont nés de multiples groupes, aux sensibilités diverses, à l’image de l’Église philosophique luciférienne ou du Cercle initiatique de la Licorne occidentale. Le rapprochement s’est fait à partir de pratiques et croyances communes. Les lucifériens ont repris du wiccanisme son goût pour la magie blanche et le personnage de Lilith, perçu comme l’égal féminin de Lucifer. Le wiccanisme développe en effet un panthéisme structuré autour d’une déesse et d’un dieu dont les multiples divinités païennes ne seraient que des facettes. Les lucifériens wiccans tendent ainsi à considérer que ces deux divinités seraient en réalité Lucifer et Lilith, le masculin et le féminin, égaux et complémentaires. La doctrine luciférienne wiccane place la sexualité au centre des pratiques et des dogmes : ainsi, les articles 28 à 33 du règlement intérieur de la Wicca, préconisent à tout « néophyte de découvrir son complément astral, de sexe opposé, au cours d’un baptême mineur ou majeur », ce baptême étant l’occasion de « concilier les forces supérieures de Lilith, Diane et Lucifer » en ayant des « relations sexuelles avec celui ou celle qui travaillera en sa compagnie ».

Les sataniques et leurs Églises

Un rituel de l'église de Satan
Un rituel satanique de l’Église de Satan
Le satanisme s’est construit autour de l’apport de théoriciens occultistes et à partir de doctrines philosophiques parfois déformées et réinterprétées. Il a donné lieu à l’édification de groupuscules et de mouvances qui ont pu, à l’occasion, se métamorphoser en Églises.

C’est ainsi le cas de l’Église de Satan, bâtie autour de l’enseignement de LaVey et de son principal schisme, le Temple de Seth, fondée par Michael Aquino, l’un des proches du « pape noir ».

L’Église de Satan a été fondée le 30 avril 1966, l’an I de l’ère sataniste, la nuit de la Walpurgis (ou Nuit du sabbat ; également appelée Walpurgisnacht dans la tradition germanique). Son initiateur, Anton Szandor LaVey, souhaitait ainsi inscrire sa structure dans une filiation avec l’ésotérisme noir. En créant cette Église quelque peu provocante, le « pape noir » ne cherchait pas uniquement à définir une institution antithèse de l’Église catholique : sa fille avouera que cette idée avait pour but de « doper les affaires » de son père, alors simple conférencier. Dans des finalités semblables à celles ayant concouru à créer l’Église de scientologie – dont il était proche par son réseau d’amitiés (Ron Hubbard, J. Parsons) –, LaVey entrepris de fonder une nouvelle religion hédoniste, individualiste et libertaire, transgressant les normes sociales, mais en veillant à toujours respecter le droit et les règles juridiques.

Les nues de Anton Lavey
Les nues de Anton Lavey
À travers divers ouvrages fondateurs (La bible satanique, Les rituels sataniques, La sorcière de Satan) et grâce au rôle capital de ses conseillers et proches (ses trois femmes, ses deux filles, le mage Peter H. Gilmore ou le grand prêtre Michael Aquino), LaVey réussit à définir le fonctionnement et le dogme d’une Église vouée à Satan et structurée suivant un système de « grottos ». L’Église est ainsi hiérarchisée en fonction du degré de compétence des membres, l’adhésion étant faite une fois pour la vie entière. Après la mort du « pape noir » et diverses querelles de succession, sa femme, la grande prêtresse Blanche Barton, secondée par le mage Peter H. Gilmore, entreprirent diverses rénovations afin d’adapter les structures de l’Église aux jeunes faiblement christianisés. Cette Église de Satan, même si elle n’est pas la seule à se réclamer du haut patronage diabolique, dispose aujourd’hui d’une forte autorité. Elle est d’ailleurs la matrice de nombre d’Églises sataniques sur lesquelles elle possède toujours « une grande influence : certains la copient, d’autres s’en démarquent, personne ne l’ignore ».
 

Le Temple de Seth

Michael et Lilith Aquino
Michael et Lilith Aquino
La deuxième grande Église satanique est un peu au satanisme ce que la Réforme est au christianisme : un schisme, en rupture avec le credo dominant. Le Temple de Seth (parfois orthographié Set) a été fondé en 1974 par Michael Aquino, lieutenant de l’armée américaine, spécialiste de la guerre psychologique. Aquino, « baroudeur “intello” bardé de diplômes » pour reprendre l’expression de Paul Ariès, rejoint LaVey en 1967.

Celui-ci, pourtant bien conscient de l’hétérodoxie de l’officier américain (Aquino est persuadé que le Diable est une créature bien réelle et pas seulement un mythe cosmique comme le prétend LaVey), le nomme pourtant prêtre : il faut dire que Aquino, lors de ses multiples dialogues avec le Diable, reçoit la révélation que LaVey est plus qu’un être humain. Il serait un démon.

Les relations entre les deux hommes vont pourtant se dégrader. LaVey envoie Aquino en Californie fonder un nouveau grotto. Celui-ci va plus loin que prévu et établit un grotto autonome, au fonctionnement plus hiérarchisé et secret. Mais c’est en 1975 que tout se précipite avec la rédaction de The book of coming forth by night où le prêtre discrédite les thèses du fondateur en expliquant le véritable plan de Satan. Celui-ci, qui ne serait autre que l’une des nombreuses figures (avec Odin, Prométhée ou Kali) d’une entité appelée Seth, aurait tenté, par le biais de LaVey, de fonder son Église afin de passer à l’âge de Satan. Le pape noir étant « incapable de réaliser complètement sa mission », Seth, bon prince (des ténèbres…), aurait chargé Aquino d’offrir aux hommes les outils pour devenir eux-mêmes des dieux. Malgré quelques légères différences, l’organisation du Temple de Seth est semblable à celle de l’Église de LaVey, avec un système d’ordres, de pylônes (en lieu et place des grottos) et de grades (magicien, prêtre, maître du temple, magnus).

Le Temple de Seth a fait l’objet de critiques plus vives que celles adressées à l’Église de LaVey. Tout d’abord, en interne, deux approches se sont combattues : l’une défendant la thèse de l’adoration religieuse de Seth, créature bien réelle et, l’autre, faisant part du caractère avant tout symbolique de cette entité. Ces deux lignes ont leurs apôtres et se combattent ouvertement au sein de l’institution. En outre, le Temple fait l’objet de critiques acerbes dénonçant sa connivence avec diverses mouvances extrémistes occultistes ou politiques (l’Ordre des neuf angles, la Société du lys noir) proches du fascisme ou du néonazisme. Aquino aurait ainsi plus d’une fois salué l’ésotérisme d’Heinrich Himmler, dirigeant de la Gestapo et initiateur de la « solution finale ».

Les fondamentalistes satanistes, qu’ils soient sataniques ou lucifériens, se raccrochent fermement aux fondamentaux de leur groupe, quitte à s’y réfugier et s’y enfermer. Ils ne s’aventurent guère à mélanger des formules du Livre des noms ou des symboles néonazis avec des incantations en langue enochienne trouvées sur Internet, dans un décorum grandiloquent rappelant, détail par détail, l’atmosphère crépusculaire de la chambre de Regan MacNeil, héroïne de L’Exorciste.
 

Les satanistes amateurs

Crane entre les mains
Tous les adeptes du satanisme ne sont pas forcément rattachés à une structure ecclésiale ou à un courant défini. Ils s’autoproclament satanistes parce qu’ils disent mettre en œuvre des pratiques satanistes, empruntées ici ou là, et vivre une philosophie et un mode de vie proche des fondamentalistes satanistes.

Mais ces pratiquants, « amateurs », dans le sens où ils ne sont pas des professionnels ni des fondamentaux du satanisme, réalisent en quelque sorte une synthèse – on pourrait parler de syncrétisme – de diverses théories et pratiques, mariant des succédanés de doctrine sataniste avec certaines approches parfois éloignées (néonazisme, ésotérisme sectaire, néopaganisme, astrologie, pornographie et pédophilie).

Dans son livre noir du satanisme, Paul Ariès évoquait déjà le développement d’une nouvelle forme de satanisme touchant des jeunes ne possédant aucune culture religieuse : au « satanisme savant » se substituerait un satanisme délaissant « le champ religieux antichrétien ».

Ce satanisme d’amateurs est surtout celui en vogue chez les jeunes et les adolescents décidés d’exprimer leurs frustrations familiales et sociales de façon provocante. Souvent, ces jeunes bricolent un satanisme syncrétique à partir du matériau fourni par les films d’horreur, les séries fantastiques et les romans gothiques, ou encore, à partir de textes trouvés sur Internet faisant l’apologie de telle divinité ou décrivant des cérémonies et rituels à suivre pour « être un véritable sataniste ». Ce bricolage, qui consiste, par exemple, en l’organisation de séances de spiritisme, peut conduire à « une fuite en avant dans la marginalité » par la pratique de cérémonies toujours plus déviantes (sacrifices de petits animaux) et l’adhésion à des groupuscules satanistes mieux organisés, agissant dans le secret et suivant des techniques entachées de sectarisme.

Le paysage satanique français est ainsi largement tributaire de ces microgroupes fondés par des amateurs se professionnalisant au fil de leurs lectures des fondamentaux et de leur fuite en avant. Les satanistes européens font figure de parents pauvres comparés aux géants que sont l’Église de Satan et le Temple de Seth. La France est largement sous la coupe de ces structures, le plus souvent non déclarées. Pour autant, certaines le sont, à l’image de la Fédération sataniste de France. Celle-ci promeut, sur son site Internet, des croyances et des rituels particuliers, et dresse une « liste noire » des groupes qu’elle n’aime pas (la Fraternité Saint-Pie X, Restauration nationale-Action française, etc.). Cette fédération sataniste cherche à faire entendre sa conception de l’histoire des religions et le regard qu’il faudrait porter sur les trois grands monothéismes, tout en essayant de « regrouper les satanistes isolés » pour réaliser une « cohésion dans l’action » vis-à-vis des « ordres moraux religieux » mais dans le respect de « la stricte légalité ».

De petits groupes, affiliés ou non à la Fédération sataniste de France, surfent sur la vague initiée par les Églises sataniques américaines (qu’elles méprisent le plus souvent) en se reposant, parfois, sur d’autres supports philosophiques ou idéologiques. C’est ainsi qu’un grand nombre de microstructures satanistes se rapprochent de courants païens (druidisme, celtisme, néosorcellerie) ou de mouvances fascisantes. Les accointances entre satanistes et néonazis ou néofascistes font ainsi souvent la une des quotidiens. Ces satanistes « acides » (des adeptes, souvent jeunes, éloignés des grandes Églises, qui commettent des crimes et délits clairement rattachés à leur pratique d’un culte de Satan ou de Lucifer), pour reprendre l’expression de Massimo Introvigne, sont les plus enclins à passer à l’acte et pratiquer des rites et cérémonies délictueuses, d’autant plus lorsqu’ils profitent de ces rituels pour consommer des produits stupéfiants.

Les satanistes, pratiquant un culte et des cérémonies dédiés à Satan ou à Lucifer, puisent dans divers viviers leurs connaissances et liturgies : des ressources exclusives pour les plus fondamentalistes, à une consommation syncrétique de multiples doctrines pour les plus amateurs (et plus enclins à la dérive). Le cœur doctrinal commun entre ces deux attitudes reste la critique virulente de l’ordre social existant et des notions d’égalité, de solidarité et de fraternité et d’aide aux plus démunis. La finalité politique du satanisme reste libertarienne avec la promotion d’une réduction drastique du rôle de l’État conduisant à sa disparition et à un fonctionnement clanique de la société. Les ramifications entre certaines structures satanistes et la nébuleuse néonazie sont avérées et participent à la motivation de vigilance de l’État à l’encontre du phénomène sataniste. Le satanisme à la française, faiblement institutionnalisé et encadré, inquiète fortement parce qu’il puise dans un vivier constitué d’adolescents et de jeunes en pleine construction identitaire, parfois affiliés à des sous-cultures spécifiques comme le gothisme ou la mouvance metal.

Source : http://www.derives-sectes.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/guides?page=1



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