Le satanisme romantique

Satanisme
Alors que les guerres de religions s’étiolent, que la science gagne ses lettres de noblesse, que le Siècle des Lumières jette les bases de la « raison éclairée » et redéfini de nouvelles valeurs (tolérance, liberté, séparation des pouvoirs), on aurait pu penser que le culte du diable soit tombé en désuétude. Mais le courant romantique emprunte, dans une perspective nouvelle, les personnages de Lucifer et Satan (parfois appelés Méphistophélès), désormais plus mythiques que réels.
 
 

Le romantisme noir

Déjà, au cours des siècles précédents, un tournant semblait s’annoncer avec les commentaires de certains religieux : le Diable ne serait peut-être pas physiquement présent dans le monde des hommes, mais sa présence se ferait ressentir à travers les sentiments humains et notamment le mal de vivre. Ce mal de vivre nourrit la littérature romantique et, notamment, tout le courant romantique dit « noir », à l’image de l’archétypal « spleen baudelairien  ».

Présente dans de nombreux vers du « poète maudit », cette thématique de l’ennui et de la tristesse, véritable pulsion de mort, cohabite avec une force de vie d’essence divine : c’est l’opposition classique, chez Baudelaire, entre l’idéal et le spleen, la vie et la mort, Dieu et Satan. Les romantiques du XIXe s’emparent ainsi de Satan et de Lucifer pour les faire exister sur un plan mythique.

Le diable incarne la liberté et la révolte

Dans nombre d’écrits romantiques, de Faust au Soleil de Satan, de Hugo à Vigny, de multiples visages du Diable sont évoqués dans des approches parfois contradictoires mais souvent complémentaires. Pour les uns, Lucifer-Satan, autrefois monstrueux, aujourd’hui séduisant, est un symbole de liberté et de révolte. Il est le Prométhée rebelle qui encourage à s’émanciper des carcans sociaux et de la finitude de la condition humaine : chez Victor Hugo, le « regard prodigieux » de Dieu sur une plume de l’aile de Satan donne naissance à une femme « éclairant l’infini d’un sourire innocent », qui n’est autre que « la Liberté ».

Pour d’autres, au contraire, Satan n’existe pas mais symbolise la noirceur de l’homme, ses défauts et ses vices : il est le Prométhée enchaîné et dévoré par les remords, métaphore de l’esclavage humain au Mal et à la douleur. D’autres écrivains romantiques recourent au Satan mythique dans le but de s’interroger sur le Mal, sa nécessité, sa place dans le monde et son essence humaine.

Pourtant, au-delà de ces divergences, le courant romantique offre unanimement au Diable ce que Georges Minois appelle une « réhabilitation » ou un « acquittement » : Satan, en devenant un symbole et un mythe, se voit offrir une rédemption littéraire. Il n’est plus un personnage inspirant uniquement de la crainte et du mépris : désormais, il fascine.

Psychanalyse du diable

Le Diable entendu en tant que personnification du Mal se meurt lentement : il est devenu un mythe littéraire, une métaphore prométhéenne. En conséquence, les milieux tant savants que religieux s’interrogent sur les cas de possession diabolique et sur les outils potentiellement mobilisables pour aider ces personnes souffrantes.

Alors que certains auteurs mystiques avaient déjà esquissé une intériorisation psychologique du Mal, il faut attendre le XIXe siècle pour voir un changement frappant de paradigme. Certains scientifiques avancent des théories nouvelles : les possessions ne sont pas l’œuvre d’un démon contrôlant et terrorisant sa victime, mais plutôt une pathologie psychologique individuelle trouvant son explication dans un phénomène de trouble de la personnalité (schizophrénie, épilepsie, hystérie, paranoïa). La personne qui se dit « possédée » est souvent victime d’un trouble psychologique maladif.

Dans le même temps, une redéfinition de la fonction de prêtre exorciste voit le jour. Ces professionnels de l’exorcisme, confrontés dans la majorité des cas à des personnes atteintes de troubles mentaux, sont amenés à délaisser les pratiques religieuses d’exorcisme pour travailler en collaboration avec des psychologues et psychiatres afin d’essayer d’apporter des solutions médicales à ces nombreuses pathologies.

Une sexualité refoulée

Les premières théories psychanalytiques du Diable sont formulées par Freud et Jung. Chez le premier, Satan est perçu comme un double symbole. Celui de la noirceur de la figure du père : le père n’est pas qu’un être bon, il peut également être mauvais. Satan représente donc ce visage déplaisant du père. Mais le Diable peut également être vu comme le symbole d’interdits sociaux et individuels.

Dans l’analyse qu’il réalise de cas de possessions faisant intervenir des références sexuelles diaboliques, Freud y décèle un « exutoire névrotique d’une sexualité refoulée par une religion très répressive dans ce domaine » : en d’autres termes, cette frustration sexuelle, conditionnée par un frein moral défini par les traditions religieuses, serait la matrice même des hallucinations et possessions dites « diaboliques ». Les interdits sexuels seraient inconsciemment la cause de ces troubles maladifs.

Jung n’hésite pas à porter plus loin son analyse. Le Diable ne serait pas qu’un simple symbole, mais il serait doué d’une véritable existence ; cette existence n’étant pas physique ou morale mais bien psychique. Satan ne serait qu’un fondement du psychisme individuel pouvant engendrer des réactions pulsionnelles (peur, rébellion, séduction) face aux interdits, et se concrétisant dans des mythes, contes et autres folklores. Mais cette approche jungienne de la figure du Diable est critiquée pour son ethnocentrisme : dans son analyse, le psychiatre ne tient en effet aucunement compte des diverses définitions du Mal et du Diable suivant les cultures, pays et périodes donnés.

Des approches plus contemporaines tendent à démontrer la proximité entre le Diable et l’adolescent : certains psychologues soulignent ainsi que « Satan est une caricature de l’adolescent, le rebelle par excellence qui s’est opposé au père ». D’après le psychologue clinicien français, Christophe Allanic, le jeune qui s’identifie au Diable « provoque les adultes et se persuade que le plaisir sans entrave qu’il a connu dans la vie fœtale est encore possible ». D’autres analystes préfèrent parler d’un « retour du refoulé » pour parler de la fascination qu’ont certains jeunes pour le « Prince des Ténèbres », la société ayant chassé la mort dans le rang des tabous sociaux.

L’embarras religieux

Face à cette transition d’une approche personnelle du Mal à une analyse métaphorique voire psychanalytique, les Églises chrétiennes, principalement (car elles ont poussé au plus loin la personnification du Mal), semblent plongées dans un embarras compréhensible qui les conduit à des discours parfois contradictoires.

C’est ainsi que, sous la bannière de la chrétienté, se côtoient des fondamentalistes persuadés de l’omniprésence du Diable dans nos sociétés (ils le voient agir partout : médias de masse, idéologies politiques totalisantes, pornographie, pédophilie, questions de société – l’homosexualité, la contraception, l’avortement), et des théologiens théorisant son inexistence, ou, du moins, une mauvaise interprétation des Écritures saintes.

Dans ce débat théologique animé, les représentants catholiques ont opté pour la voie tracée par le concile de Latran IV en 1215 : « Derrière le choix de nos premiers parents, il y a une voix séductrice, opposée à Dieu, qui, par envie, les fait tomber dans la mort. L’Écriture et la tradition de l’Église voient en cet être un ange déchu, appelé Satan ou diable. L’Église enseigne qu’il a été d’abord un ange bon, fait par Dieu. “Le diable et les autres démons ont certes été créés par Dieu naturellement bons, mais c’est eux qui se sont rendus mauvais” ».

Le catéchisme catholique postule donc l’existence réelle du Diable, mais l’innocence et la bonté de Dieu : c’est le Diable lui-même qui aurait choisi le Mal.

La question reste ouverte : qui est réellement le diable ?

Source : http://www.derives-sectes.gouv.fr/publications-de-la-miviludes/guides?page=1




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