L'amour et la sorcellerie au Maroc

L’histoire de Salma qui n’arrive pas à se marier

Amour et sorcellerie au Maroc
Les femmes au Maroc se tournent vers les sorcières, qu’on appelle les shawafas (diseuses de bonne aventure), pour l'amour et la thérapie psychique. La première fois que Salma a consulté une shawafa, ou une sorcière, elle y est allée avec des amis en simple accompagnatrice, uniquement pour le divertissement. Lorsque la Shawafa a prédit qu'elle ne se marierait jamais, une pensée scandaleuse pour une femme marocaine dans la vingtaine, Salma ne l’a pas crue et a d’emblée éliminé cette prophétie de son esprit.

À cette époque, quand nous avons quitté la Shawafa,
nous nous sommes moqués d’elle et
nous n'avions pas confiance en elle

  a déclaré Salma, qui ne croyait pas à la sorcellerie ni à la magie.

Vingt ans plus tard, Salma, âgé de 42 ans, ne s'est jamais marié et a visité plus de 100 shawafas pour tenter de lever ce qu'elle croit être une malédiction qui l'empêche de se marier.


Dans un pays où 15 pour cent de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, Salma est l'une des nombreuses Marocaines qui ne peut pas se permettre de consulter un psy ou d’effectuer une thérapie de santé mentale. Au lieu de cela, elles se tournent vers le mystique, en cherchant des conseils auprès des shawafas qui disent qu'elles peuvent prédire l'avenir, même si la pratique de la sorcellerie est illégale et considérée comme anti-islamique au Maroc. C'est parce que le Coran dit que personne ne peut prédire l'avenir, sauf Dieu.

Certaines femmes demandent aux shawafas la chance et la richesse pour leurs familles. D'autres veulent exorciser un esprit ou contacter un être cher. La plupart des femmes, cependant, y vont pour trouver l'amour, retenir leur amour et s’en assurer la fidélité, pour le retour d’affection ou pour oublier la personne qu'elles aiment toujours.
 

Les shawafas prédisent l’avenir

En 2012, Colleen Daley, une américaine qui travaillait pour « l'échange marocain », une organisation qui amène les étudiants américains à étudier en Espagne ou au Maroc, a visité Chefchaouen, une ville historique marocaine, à la recherche d'une Shawafa.

Elle se promenait dans les rues pavées au-delà des murs bleu ciel de la médina et de la vieille ville, demandant aux gens dans son mauvais arabe où elle pouvait trouver une shawafa.

J'ai déjà entendu beaucoup de choses sur les shawafas, que ce sont des femmes maléfiques qui font de la magie noire, et que les filles vont les voir pour chercher un homme qui tombe amoureux d’elles
 
a déclaré Colleen.

Mais quand elle a finalement trouvé une shawafa, Colleen a été surprise par l'âge de la femme.

« Moins de la trentaine, un drap blanc attaché sur la tête, portant une blouse de cuisine teinté et un linge léger jeté en hâte sur sa tête au son de la voix des visiteurs masculins » écrit Colleen Daley dans son blog.

Colleen ne voulait pas connaître son avenir, même s'il ne s'agissait que de 20 dirhams, soit deux dollars. Elle se tenait là, écoutant tranquillement alors que son traducteur racontait l'histoire de la shawafa utilisant son don pour soigner les gens et gagner de l'argent pour ses filles, depuis la mort de son mari.

La shawafa « avait une véritable lumière en elle et dégageait un vrai bonheur, une sorte d'aura », a déclaré Colleen Daley rapportant sa rencontre avec elle.

Et je suis chrétienne; Je crois en Dieu. J'ai vraiment ressenti la présence de Dieu dans cette pièce à ce moment-là.
 

Retrouver un nouvel amant en un jour

Marocaine voilée
Les femmes marocaines se tournent vers les shawafas en cas de besoin. Bouchra Saaidi, 32 ans, a voulu oublier son ex-petit ami qui l’avait trompé. Elle m'a raconté son histoire quand nous nous sommes rencontrés dans un bar à Rabat.

En 2007, le cousin de Bouchra l'a emmenée chez une shawafa après qu’elle ait admis avoir des pensées suicidaires. La shawafa a prédit le futur de Bouchra en étudiant le mouvement de la fonte du plomb dans de l'eau. Finalement, elle a décidé d'aider Bouchra à oublier son petit ami. Bouchra a payé la shawafa 600 dirhams, soit 80 francs, en espérant que tous ses soucis disparaîtraient. La shawafa lui a demandé d'acheter des bibelots et de porter une robe qui permettrait à la fumée de passer sous sa jupe, une pratique qui, selon les shawafas, renforce l'énergie sexuelle. Ensuite, la Shawafa lui a demandé de frapper l'épaule de son ex-copain à midi, le vendredi. Bouchra a été informé que cette action finaliserait le sort et qu’après elle n'aurait plus de sentiments pour lui.

Comme l'a demandé le Shawafa, Bouchra a frappé l'épaule de son ex-copain et s'est enfui avant qu'il n’ait eu le temps de réagir. Elle s'est ensuite lavée avec de l'eau fournie par la Shawafa. La shawafa a également utilisé du Kobol, une substance utilisée pour attirer les gens et les rendre émus par vous, pour bénir Bouchra Saaidi et pour faire d’elle la femme que tout le monde regarde quand elle entre dans une pièce. Bouchra s’en est ensuite allé parcourir les avenues principales de Rabat et a trouvé un nouvel homme le jour même.

« Un homme vous aide à en oublier un autre », a déclaré Bouchra. « C'est la vérité de la vie, pour moi de toute façon, ça l’est. »
 

Des effets psychologiques, comme un placebo

Les femmes et la sorcellerie au Maroc
Bien que Bouchra croit aux shawafas et à leurs capacités, elle a également reconnu que les effets pouvaient être purement psychologiques.

« Lorsque vous allez chez une Shawafa et qu'elle vous dit que vous allez rencontrer un gars en trois jours, ça reste dans votre tête et vous continuez à y penser: Oh ! Je vais rencontrer un homme en trois jours ! », a déclaré Bouchra. « Cela finit par affecter la réalité et à arriver vraiment ».

Cependant, les effets placebo, comme les pilules de vitamines, se produisent également dans la médecine et la thérapie occidentale, ce qui rend presque impossible de considérer que l’une est meilleure ou plus efficace que l'autre. Quelle est l'importance des moyens si les fins sont juste, sinon plus encore : réussies ?

En outre, ce processus peut avoir un impact sur le jugement d'une femme dans une société où il y a beaucoup de pression pour se marier. Les femmes qui sont incapables de trouver un mari sont conduites à effectuer des consultations spirituelles pour résoudre leurs problèmes.
 

Les shawafas reviennent moins cher qu’un psy

Une guérisseuse
Certaines personnes vont voir les shawafas qui pratiquent la sorcellerie « parce qu'elles n'ont pas d'argent pour résoudre leurs problèmes » par la thérapie, a déclaré Ali Chaabani, professeur de sociologie à l'Université de Mohammed V-Aghdal à Rabat.

Une seule séance de thérapie de 50 minutes à Rabat est d'environ 300 Dirhams, soit 40 francs, ce qui est moins cher que beaucoup de séances similaires en Europe ou aux États-Unis. Cependant, lorsque Bouchra Saaidi est allé voir la Shawafa, ça lui a coûté environ 600 Dirhams, soit 80 francs, pour parler, se fait lire son avenir, se livrer à un sortilège pour oublier son ex-petit ami et éventuellement trouver un nouvel homme. Certes, c’est plus cher, mais si vous additionnez les différentes séances possibles pour résoudre votre problème avec un thérapeute, cela coûte moins cher, à long terme, d'aller voir une shawafa et de résoudre le problème en une seule fois. Pour beaucoup de femmes marocaines, c’est évident : vous visitez un shawafa, payez moins et avez résolu votre problème par des forces surnaturelles en deux séances.

Salma, dont le vrai nom n’est pas révélé parce qu'elle craint la stigmatisation sociale, croit que la mère de son amant, qui ne voulait pas que Salma se marie avec son fils, l’a ensorcelé pour l'empêcher de se marier. Bien que les shawafas aient été incapables de l'aider, Salma continue d'aller les voir.

Si je suis triste, elle me dit des mots très gentils
et en rentrant je suis un peu plus heureuse

  a déclaré Salma.

C'est comme si j'allais à une séance de psychothérapie.
 
 

Des lieux secrets à Rabat

Certaines femmes à Rabat visitent un lieu de mariage qui est caché dans le Château d'Oudayas près de la plage. Idrissi Saleh, le gardien du château, a déclaré que l'eau du puits mélangé à l'eau de rose change la chance d'une femme et aide à la recherche d'un mari. Ensuite, une femme peut allumer une bougie pour les Djinns, les esprits dans les légendes musulmanes, qui l'empêchent de se marier. Les femmes abandonnent aussi leurs vieux sous-vêtements comme un changement symbolique de la chance sexuelle.

Le bien conjugal a également un sanctuaire dédié à un saint mort, Sidi Abouri. Les femmes utilisent la tombe du saint comme un intermédiaire pour demander à Dieu de faire tourner la roue de la fortune et de leur apporter de la chance, malgré les tabous religieux. On dit que la tombe du saint aide les femmes à trouver un homme pour se marier.

Des actes comme ceux-ci, y compris les sous-vêtements abandonnés, sont des événements communs dans les sanctuaires traitant des problèmes de la fécondité au Maroc, bien que le fait de laisser explicitement quelque chose de sexuel derrière soi, tels que les sous-vêtements, soit souvent assez mal vu par la société conservatrice marocaine. Cependant, puisque ces sanctuaires sont déjà un espace controversé, ces femmes s'engagent désespérément dans cette action dans l'espoir que cela va faire disparaître leurs problèmes.

« Même si le saint est mort, c'est comme s'il dormait », a déclaré le fils du gardien, Mohammed. « Il résout tous les problèmes ».

Le Kobol, une potion magique ?

Le Kobol est la substance pierreuse que les shawafas utilisent pour aider leurs clients à attirer les gens. Le gardien du château du mariage, Shareef Idrissi Saleh et son fils Mohammed, versent l'eau spéciale dans un seau. Le puits va jusqu’à 20 kilomètres de profondeur et il est situé dans une pièce isolée sur la plage. L'eau de rose est combinée avec l'eau du puits pour amplifier son efficacité.

La religion, cependant, est controversée pour les shawafas et les clients des shawafa. L'islam sunnite, la secte prédominante de l'islam pratiquée à 99,9% par les musulmans du Maroc, un pays majoritairement musulman, interdit les intermédiaires entre Dieu et les gens, comme les shawafas et les saints. En outre, le Coran déclare que personne, sauf le prophète Mohammed, peut lire l'avenir.

Personne dans les cieux et sur terre ne peut vous parler des choses invisibles à l'exception de Dieu
  déclare le Dr Khalid Saqi, directeur associé de l'école islamique Dar Al Hadith Al Hassina.

Les lois religieuses

Diseuse de bonne aventure
En vertu de la loi islamique, il est illégal de pratiquer la sorcellerie au Maroc et les shawafas peuvent être lourdement condamnés par le gouvernement pour acte de sorcellerie. Pourtant, les shawafas sont omniprésents dans la société marocaine. De nombreux Marocains leur rendent visite en secret pour résoudre des problèmes personnels. C'est parce que certains Marocains ne sont que musulmans par culture et ne respectent pas les lois religieuses.

« Un grand pourcentage de la communauté est analphabète, donc ils ne savent pas ce que l'Islam dit de la sorcellerie », a déclaré le professeur Chaabani.

En fait, 32,9% des Marocains sont analphabètes et, par conséquent, la religion est enseignée par le bouche à oreille dans certaines communautés.

Malgré l'illégalité de son métier, une shawafa âgée de 22 ans, nommée Miriam, a déclaré qu'elle n’avait pas de problèmes de la part de la police et qu'elle aidait même parfois les agents avec leurs problèmes personnels. Cependant, les clients masculins des Shawafas sont moins fréquents et viennent souvent demander leur aide pour des questions comme l'emploi et la richesse et pas pour l’amour.

Miriam n'a d'autre choix que de poursuivre son métier, car elle croit que quelqu'un lui a lancé un sortilège quand elle avait neuf ans. Depuis, les Djinns l'ont possédé et l'ont forcé à devenir une shawafa pratiquante.

Fatima conserve son matériel de sorcellerie dans ses armoires. Le placard de Miriam contient différentes pierres, grains, bijoux et instruments qu'elle utilise pour aider les gens. Sur les marchés, les shawafas achètent leurs produits, y compris la peau d'animal.
 

Une shawafa possédée par les djinns

Une autre shawafa nommée Fatima est devenue soudainement hantée par les Djinns, sauf qu'elle a absorbé les esprits en lavant les vêtements de sa tante à présent morte.

À Tiflet, une petite ville du nord-ouest du Maroc, Fatima fait rouler les perles entre ses doigts alors qu'elle raconte au client son avenir dans une pièce isolée située au coin de sa maison. Elle porte un pyjama rose brillant caché par un vieux tissu léger pour se connecter avec le Djinn qui la hante. Tout autour d'elle, de la nappe à la tapisserie islamique derrière elle, tout est vert.

Il y a un tissu en forme de dentelle suspendu à l'entrée que vous devez soulever au-dessus de votre tête pour passer la porte. À l'intérieur, les murs sont blancs comme l'albâtre, mais presque tout le reste a une teinte verte feuillue. Il y a des bougies vert-pin et un mélange de henné répugnant réparti sur une table couverte d'une couverture verte arlequin, des canapés couverts d'un vert émeraude sombre, des bouteilles d'eau de rose vertes, une tapisserie islamique vert olive et d'autres affiches coraniques vertes.

Selon Fatima, le vert est la couleur préférée des Djinns spécifiques qui se connectent avec elle.

Bien que la sorcellerie soit interdite, Fatima dit qu'elle aime aider les gens. Néanmoins, Fatima et Miriam ont demandé que leurs vrais noms ne soient pas révélés en raison des implications sociales et juridiques d'une shawafa au Maroc.

Plus tard, je relisais les notes du traducteur de ma conversation avec Fatima. Je lui ai demandé au sujet des sceptiques, bien sûr, dans laquelle elle a répondu avec confiance :

Je veux qu'ils vivent comme je vis et que je vive cette souffrance quotidienne que je vis, afin qu'ils comprennent que je pratique ce travail sans mon contrôle.
 


Sources :
Publié le 19 septembre 2014 par Paige Pritchard sur son blog en anglais.
D’après un article de Ailsa Sachdev

Ailsa Sachdev a passé plusieurs mois au Maroc dans un programme d’échange d’étudiants et a produit cette histoire en association avec Round Earth Media, une organisation à but non lucratif qui encadre la prochaine génération de journalistes internationaux. Amal Guenine a contribué aux rapports.



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