Naissance et croissance des Skull & Bones

La naissance de la société

Les Skull & Bones
Au début des années 1830, un étudiant de l’Université de Yale, du nom de William H. Russell – futur major de la promotion 1833 –, se rendit en Allemagne pour y effectuer une année d'études. Russell venait d'une famille démesurément riche qui était à la tête de l'une des organisations d'affaires les plus méprisables d'Amérique au XIX° siècle : Russell and Company, un empire du trafic de l'opium. Par la suite, Russell deviendra membre du parlement de l'État du Connecticut, général de la garde nationale du même État et fondateur de l'institut universitaire et commercial de New Haven. Lors de son séjour en Allemagne, il devint l'ami d'un dirigeant d'une société secrète allemande, dont le symbole était une tête de mort. Très rapidement, il fut embrigadé dans ce groupe, un prolongement de la fameuse société des Illuminati de Bavière. Quand il revint aux États-Unis, il trouva une atmosphère à ce point antimaçonnique que même son honorable société étudiante, Phi Bêta Kappa, avait été dépouillée de tous ses secrets, sans autre forme de procès.


Exaspéré, Russell rassembla le groupe d'étudiants les plus prometteurs de sa promotion – dont Alphonso Taft, le futur secrétaire à la Guerre, procureur général, diplomate en Autriche, ambassadeur en Russie et père du futur président des États-Unis William Howard Taft – et, par vengeance, il créa la société secrète la plus puissante que les États-Unis ont jamais connue.

Ces hommes avaient nommé leur organisation la « Fraternité de la mort », ou, de manière plus informelle, l'ordre du « Crâne et [des] os » ( « Skull & Bones » ). Ils adoptèrent le symbole numérologique 322, parce que leur groupe, fondé en 1832 , était le second chapitre d'une organisation allemande. Ils vénéraient la déesse Eulogie, déesse grecque de l’éloquence, célébraient les pirates et conspiraient pour dominer le monde.
 

Une mafia tentaculaire

Après cent septante ans d'existence, les Skull & Bones ont étendu leurs tentacules dans tous les recoins de la société américaine. Ce petit groupe a développé des réseaux qui ont placé trois de leurs membres au poste politique le plus puissant du monde. Et l'influence de la société secrète augmente – l'élection présidentielle de 2004 a, pour la première fois, mis en jeu deux candidatures représentées chacune par un skullbonien.

Elle est aujourd'hui, comme l'a déclaré un historien :

une "mafia internationale" [... ] sans contrôle et totalement méconnue.
 

Dans sa soif de créer un nouvel ordre mondial, restreignant les libertés individuelles et plaçant en fin de compte solidement le pouvoir au sein de familles riches et influentes, elle a déjà réussi à infiltrer les principaux centres de recherche, les principales institutions politiques, financières, médiatiques et gouvernementales du pays. Ce sont ses membres qui, de fait, gouvernent les États-Unis depuis des années.

Des membres sélectionnés parmi l’élite

Les Skull & Bones cultivent leurs talents en sélectionnant des adhérents au sein de la classe des juniors de l'université de Yale, un établissement connu pour son élitisme étrange, gothique, et sa dévotion rigide envers le passé. La société secrète évalue scrupuleusement ses candidats, favorisant les protestants et, désormais, les catholiques blancs, avec une prédilection pour les enfants des membres riches de la confrérie originaires de la côte est des États-Unis.

Elle est dirigée par environ une vingtaine de familles figurant parmi les plus influentes du pays – Bush, Bundy, Harriman, Lord, Phelps, Rockefeller, Taft et Whitney, entre autres –, qui sont encouragées à se marier entre elles pour consolider leur pouvoir. Elle force même ses membres à confesser toutes leurs histoires sexuelles pour que le « club », puisse déterminer si le nouveau skullbonien sera digne des lignées des prestigieuses dynasties Skull & Bones. Un rebelle ne sera jamais un Skull & Bones ; et de même personne dont l'origine indiquerait qu'il ne se sacrifierait pas pour le bien supérieur de la grande organisation.

Le « Tombeau » des Skull & Bones

Dès qu'un initié reçoit la permission d'entrer dans le « tombeau » – une crypte sombre, sans fenêtres, située à New Haven et pourvue d'un toit servant de piste d'atterrissage pour l'hélicoptère privé de la société –, il doit jurer de garder le silence et de toujours nier être membre de l'organisation.

Pendant l'initiation, qui comporte une mise en condition psychologique ritualiste, les juniors se battent dans la boue et sont frappés physiquement, cette étape de la cérémonie représentant leur « mort » au monde, ainsi qu'on le leur précise. Puis ils se mettent nus dans un cercueil, se masturbent, et doivent révéler aux membres de la société leurs secrets sexuels les plus intimes.

Après cette purification, les skullboniens donnent aux initiés une robe, symbole de leur nouvelle identité en tant qu'individus poursuivant dorénavant des objectifs « plus élevés ». La société baptise son initié d'un nouveau nom, signe de sa renaissance sous la nouvelle identité de chevalier X, membre de l'Ordre.

C'est durant cette initiation que les nouveaux adeptes découvrent le décor du « tombeau », constitué d'objets et notamment d'emblèmes nazis gardés comme des reliques – y compris un ensemble de plats en argent ayant appartenu à Hitler – , de douzaines de crânes et d'un assortiment d'objets décoratifs : des cercueils, des squelettes et des entrailles.

Ils sont aussi amenés à « la prostituée des skullboniens », la seule résidente à plein-temps du « tombeau », dont le rôle est de garantir que le skullbonien sorte du « tombeau » plus mûr qu'en y entrant.

Les sacrifices et les cadeaux

Les membres des Skull & Bones doivent faire quelques sacrifices envers leur société. Pour qu'ils restent loyaux à son égard, ils sont menacés d'inscription sur une liste noire en cas de manquement aux règles. Mais en contrepartie ils sont rémunérés par des honneurs et des prix. Par exemple, un cadeau de quinze mille dollars à l'occasion de l'obtention de leur diplôme universitaire, et un cadeau de mariage, sous la forme d'une grande horloge grand-père. Même s'il doit payer une dîme sur ses biens, chaque adhérent de la société est assuré d 'obtenir une sécurité financière pour le restant de sa vie. De cette façon, les skullboniens peuvent être certains qu'aucun de leurs membres n'éprouvera le besoin de vendre les secrets de la société pour en faire un moyen de subsistance. Et cela fonctionne bien : personne n'a publiquement souillé mot de son appartenance aux Skull & Bones.

Les skullboniens reçoivent automatiquement des offres d'emploi au sein de nombreuses banques d'investissement et de firmes juridiques dirigées par les frères de la société secrète. On leur donne également un accès exclusif à l'île des Skull & Bones, un lieu de retraite luxueux, construit pour des millionnaires, où un manoir prodigieux et une compagnie féminine sont à leur disposition.

Ils ont fait mainmise sur Yale

L'influence de cette organisation commence à Yale, où les Skull & Bones se sont approprié des fonds universitaires pour leurs besoins personnels, laissant l'université appauvrie. Leur couverture légale, la Russell Trust Association (« Association de trust Russell »), est propriétaire de presque tous les biens immobiliers de l'université, ainsi que de la majorité des terres du Connecticut. Les Skull & Bones ont établi leur contrôle sur les revues de la faculté et du campus de Yale de telle façon que les étudiants ne peuvent ouvertement aborder le sujet. Year by year (« Année après année »), la seule publication du campus opposée à la société secrète, a déclaré au cours de sa brève période d'existence en 1873 : « Le mal mortel se développe. »

Un séjour d'une année dans le « tombeau » de Yale suffit à instiller une loyauté indéfectible chez les membres de la société secrète, supposés capables de punaiser leur insigne des Skull & Bones à même leur peau pour ne pas le perdre pendant la nage ou le bain. Les chevaliers (nom donné aux membres étudiants) apprennent vite que leur allégeance à la société secrète doit tout supplanter : famille, amitiés, pays, Dieu. Dès qu'ils sortent de l'école, on attend d'eux qu'ils atteignent des positions importantes, afin qu'ils puissent ensuite élever le statut de la société secrète et le prestige de leurs « frères ». Cet objectif leur a permis d'atteindre les niveaux les plus élevés de la société, à tel point qu'un historien a fait observer que, « à tout moment, l'Ordre peut contacter ses adeptes dans n'importe quel secteur de la société américaine pour qu'il fasse ce qu'il faut faire ».

Ils ont infiltré tous les secteurs de la société

Beaucoup de skullboniens ont été sénateurs, membres du Congrès des États-Unis, membres de la Cour suprême, officiels du gouvernement. Il existe une cellule des skullboniens à la CIA, qui utilise la société secrète comme base de recrutement, car ses adhérents savent bien évidemment garder les secrets. Les membres de la secte dominent les institutions financières comme J. P. Morgan, Morgan Stanley, Dean Witter et Brown Brothers Harriman, qui comptait à une époque plus d'un tiers de skullboniens parmi ses associés. C'est à travers ces compagnies que les Skull & Bones ont apporté leur appui financier à Adolf Hitler – car la société suivait à l'époque une doctrine nazie, et aujourd'hui néonazie. Au moins une douzaine de skullboniens ont été liés à la Réserve fédérale, parmi lesquels le premier président de la Réserve Fédérale de New York. Les gestionnaires de la fortune des familles Rockefeller, Carnegie et Ford sont également membres des Skull & Bones.

Ils ont aussi pris des mesures pour contrôler les médias américains : deux des adeptes ont fondé l'entreprise juridique chargée de représenter le New York Times ; des plans concernant le Time et le Newsweek ont été élaborés dans leur « tombeau ». La société a pris le contrôle de maisons d'édition comme Farrar, Straus & Giroux. Dans les années 1880, afin de pouvoir s'assurer que l'histoire serait écrite selon ses propres conditions et pourrait promouvoir ses propres objectifs, elle a créé l'Association historique américaine, l'Association psychologique américaine et l'Association économique américaine, et a installé ses membres à la présidence de ces associations.

L’infiltration du gouvernement

Sous la direction de la société secrète, des skullboniens ont d'abord développé la recherche sur la bombe atomique puis incité à l'utiliser. Ce sont eux aussi qui ont organisé l’invasion de la Baie des Cochons. Ils ont trempé dans l'affaire du Watergate et dans l'assassinat de Kennedy. Et maintenant ils contrôlent le Conseil pour les relations étrangères et la Commission trilatérale de telle façon qu'ils peuvent privilégier leur propre stratégie politique. Les officiels du gouvernement membre de l'ordre ont utilisé le nombre 322 comme code pour des envois de documents diplomatiques hautement secrets.

La société est favorable à la discrimination contre les minorités, elle a même lutté pour l'esclavage – d'ailleurs, huit des douze résidences de Yale portent le nom d'anciens esclavagistes alors qu'aucune n'a été appelée du nom d'un abolitionniste. Elle encourage également la misogynie : jusque dans les années 1990, ses membres n'admettaient pas les femmes car ils les croyaient incapables de partager l'expérience des Skull & Bones et, de plus, prétendaient craindre des incidents de violences sexuelles.

La profanation, l’intimidation et l’assassinat

Cette société secrète approuve aussi la profanation des tombes : dans les entrailles du « tombeau », on trouve les crânes volés du chef apache Géronimo, de Pancho Villa et de l'ancien président Martin Van Buren.

Enfin, elle a pris des mesures pour s'assurer que les secrets des Skull & Bones demeurent aussi insaisissables que l'air. Le journaliste Ron Rosenbaum, qui, dans les années 1970, a écrit sur cette société un article long , mais peu fouillé, a soutenu qu'une source l'avait prévenu de ne pas trop approcher de la vérité. « Dans quelle banque avez-vous votre compte chèques ? », lui a demandé cette source, au milieu d'une discussion sur les aspects mithriaques du rituel des skullboniens. Rosenbaum a donné le nom de sa banque. « Ah ! a répondu la source, nous avons trois skullboniens à son conseil de direction. Vous n'obtiendrez jamais plus de crédit. Ils vont examiner votre téléphone. Ils vont [... ]. » La source a continué : « Les diplômé se soucient encore de cela. Ne riez pas. Ils n'aiment pas les gens qui se mêlent de tout et sont trop curieux. Le pouvoir des skullboniens est incroyable. Ils ont leur exécutants à tous les niveaux du pouvoir dans le pays. Vous voyez, c'est comme si vous essayiez de pénétrer la mafia. »

Dans les années 1980, un homme connu seulement sous le nom de Steve avait des contrats pour écrire deux livres sur la société secrète, en utilisant des documents et des photographies qu'il avait obtenus directement du « tombeau » des skullboniens. Mais des informations sur Steve sont parvenu aux Skull & Bones. Des membres de la secte ont cambriolé son appartement, volé ses documents, menacé et poursuivi l'auteur, à qui ils ont fait peur pour qu'il se cache ... il l'est toujours. Ces livres n'ont jamais vu le jour.

Dans le thriller d'Universal Pictures, The Skulls, sorti sur les écrans en l'an 2000, un aspirant journaliste décrit le profil de la société secrète pour le New York Times. Quand il se glisse dans le « tombeau », les skullboniens l'assassinent. Dans le véritable « tombeau » des Skull & Bones, un couteau ensanglanté est exposé dans une vitrine. Il est dit que, lorsqu'un skullbonien vole des documents et menace de publier les secrets de la société c'est ce couteau qui sera utilisé pour le tuer.

Telle est la légende des Skull & Bones.

Dans l'Amérique du XXI° siècle, il est étonnant de voir qu'autant de personnes continuent de croire qu'un petit club universitaire puisse exercer une si grande influence sur la seule superpuissance mondiale. Mais pourtant il semblerait que ce soit effectivement le cas.



Cet article est tiré de l’ouvrage d’Alexandra Robbins : « Skull & Bones, la vérité sur la secte des présidents des Etats-Unis »
Titre original : Secrets of the Tomb : Skull and Bones, the Ivy League, and the Hidden Paths of Power.



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