Les miracles et les dictons de grand'mère
Les superstitions tyrannisent encore l'immense majorité des hommes. En effet, qui n'a entendu répéter cent fois qu'il y a des jours heureux et des jours malheureux ; qu'on ne doit pas se baigner dans la canicule ; qu'on peut conjurer les nuées en sonnant les cloches ; que le jour de Saint-Médard, lorsqu'il est pluvieux, amène trente jours de pluie ; qu'il ne faut pas couper ses ongles le vendredi ; que de deux personnes mariées ensemble, celle-là mourra la première, qui aura, dans ses noms et prénoms, un nombre impair de lettres ; que la vue d'une araignée annonce de l'argent ; que plusieurs paroissiens mourront dans la semaine quand on fait une fosse le dimanche, que c'est un bon augure pour une jeune fille, que la première personne qu'elle rencontre, le jour de l'an, ne soit pas de son sexe, etc.
La crédulité est si grande encore, que j'ai entendu, il n'y a pas longtemps, un prêtre, qui passait pour bon théologien et dirigeait un nombreux séminaire, se vanter hautement d'avoir délivré, en 1805, une jeune paysanne possédée de trois démons du second ordre.... Et sur deux cents personnes à qui il parlait alors, douze ou quinze seulement doutaient en silence de sa véracité. J'ai connu, dans un village des Ardennes, deux hommes, maintenant bien portants, qui ont boité plus d'un an, pour se faire guérir à l'attouchement du saint-suaire. Et en avouant la supercherie, ils se faisaient passer pour impies, ingrats et endiablés, sans persuader ceux qui les écoutaient, de l'impuissance des reliques, et sans gâter, le moins du monde, la réputation du miracle. Que devons-nous penser des anciens prodiges, quand de nos jours on rejette la vérité, pour s'en tenir au mensonge.
Que des peuples ignorants aient été imbus d'erreurs grossières, que les Américains aient pris les Espagnols pour des démons ; que les Krudner, les Adam-Muller, les Glintz, prophétisent dans les hameaux du Nord ; qu'ils publient leurs visions extravagantes ; que, de leur plein pouvoir, ils annoncent aux villageois effrayés la colère d'un Dieu qu'ils ne peuvent comprendre : il n'y a rien là qui doive bien étonner. Mais nous, que nous croupissions encore dans la superstition, quand nous pouvons en sortir, que nous recherchions les ténèbres , comme le hibou, quand nous pouvons, comme l'aigle, regarder le soleil : voilà ce qui dépasse toute imagination.
Pensez à ces tristes épicuriens, qui voudraient n'avoir point d'âme, et qui cherchent à se persuader qu'il n'y a point de Dieu, et qui parlent de leur destinée, qui se plaignent de leur étoile, qui consultent, avec une confiance sans bornes, la sibylle du faubourg Saint-Germain, qui se troublent, s'ils perdent trois gouttes de sang par le nez, ou s'ils se voient treize à la même table, ou s'il se trouve dans leur chambre trois flambeaux allumés.
Le plus grand nombre croit aux prodiges, parce qu'on néglige de s'éclairer, qu'on refuse de retourner sur ses pas, et qu'on ne veut point avouer qu'on a été dans l'erreur. Avant de prononcer qu'un fait est digne ou indigne de notre croyance, disait Diderot, il faut avoir égard aux circonstance, au cours ordinaire des choses, à la nature des hommes, au nombre de cas où de pareils événements ont été démontrés faux, à l'utilité, au but, à l'intérêt, aux passions, à l'impossibilité physique, à l'histoire, aux témoins, à leur caractère, en un mot, à tout ce qui peut entrer dans le calcul de la probabilité.
Et quels sont les faits que les livres de prodiges nous donnent à croire ? Par qui ont-ils été rapportés ? Dans quels temps ? Pour quel but ?... Tous ces faits sont absurdes, impossibles, hors de la nature, racontés sur le témoignage des insensés, des visionnaires, et des bonnes femmes, par des auteurs ignorants, imbus de préjugés, ou trop faibles pour lutter contre le torrent des opinions ; ces faits sont écrits, pour la plupart, dans les siècles de barbarie, et souvent pour les plus vils motifs du fanatisme, ou de l'esprit de domination, pour épouvanter les âmes et soumettre les peuples par la terreur.
Mais le fanatisme se flattait vainement de rendre l'homme vertueux, en le faisant trembler. Toutes les nations superstitieuses n'ont été que des hordes de barbares, et les temps de la superstition sont aussi ceux des crimes. Qu'on prêche le dieu de clémence à un Tartare, qu'on l'instruise d'exemples, qu'on adoucisse ses mœurs, on en fera peut-être un homme. Mais si on lui annonce un Dieu cruel ; ou une vaine idole, qui échange ses faveurs pour des cérémonies ridicules, sa barbarie ne fera que changer de nom.
On offre à l'homme une divinité terrible, implacable, qui punit de supplices éternels un moment de faiblesse ! ... Que les prosélytes de cette idée monstrueuse examinent leur conscience : ils n'y trouveront que la crainte. C'est dans des cœurs plus nobles, que le Dieu souverainement bon reçoit un culte d'amour. Le remords croit prévenir sa justice, en élevant des monastères, avec les dépouilles de la veuve et les sueurs de l'indigent, en se déguisant sous un habit sacré, en achetant des pardons : DIEU ne demande pas des mains pleines, mais des mains pures. DIEU pardonne à un repentir sincère : il méprise les coups de fouets des moines, les austérités qui l'offensent et les petitesses orgueilleuses. Il méprise les décapitations fanatiques, sous couvert de son nom.
Répétons à toute la terre que l'homme ne s'élève point à DIEU par la crainte, que le méchant, qui l'honore avec un sentiment d'effroi, ne peut se flatter de lui plaire, et qu'un père ne demande à ses enfants que leurs cœurs et leur amour.