Ces disparus si présents

Fête des Morts
Inspiré d'un texte original de l'historien Robert Muchembled

Le dernier volet des aventures de James Bond, Spectre, sorti sur les écrans le 11 novembre 2015, est une parfaite illustration des rituels consacrés aux défunts. Le film commence par une immense foule costumée comme pour un carnaval. Mais en s'approchant on peut voir que les costumes sont des squelettes et des têtes de morts. Il s'agit de la « fête des morts » qui se déroule à Mexico le 2 novembre. Elle est destinée à rendre hommage aux défunts au cours d'un grand défilé costumé. Il s'agit du Dia dos Muertos.

James porte un masque représentant un crane. Il est accompagné par une charmante dame, comme à son accoutumée, elle aussi déguisée de façon assez morbide. Ils pénètrent dans un hôtel et c'est alors qu'il prend en chasse un homme qu'il finira par abattre. L'inébranlable espion britannique est alors dirigé par un fantôme : celui de son ancienne directrice qui cherche à se venger. Elle lui a communiqué les détails d'une nouvelle mission à travers un message cryptique enregistré qui s'auto-détruira dans 5 secondes. Une mission impossible pour un James Bond que rien n'effraye.

On retrouve dans l'introduction de ce film beaucoup de clichés de la culture occidentale par rapport à la mort. Quels sont-ils ?

 

Deux millénaires de syncrétisme chrétien - en vain

James Bond exécute les dernières volontés de son ancienne patronne, M, tuée à Skyfall. La défunte, mécontente, réclame vengeance. Ceci n'est pas sans nous rappeler les croyances antiques, qu'elles soient grecques ou romaines, concernant les hordes de revenants insatiables venant terroriser les vivants et les malmener férocement, à la manière des « draugrs » de la mythologie nordique.

L'étonnante fête des morts mexicaine résume deux mille ans de volonté syncrétique chrétienne qui n'ont pourtant pas réussi à éradiquer les rituels païens en rapport avec la mort. Au Mexique, les croyances ancestrales des Aztèques côtoient les dogme du christianisme. En effet, les manifestations s'étalent du 31 octobre au 2 novembre et demeurent très festives. Ces réjouissances se déroulent en deux volets dont le premier est consacré aux enfants décédés. Le second s'intéresse aux adultes qui ont trépassé et se termine par une séance d'offrandes (nourriture et fleurs) sur leurs tombes. Ces présents ne sont pas sans rappeler les offrandes et les sacrifices de l'Antiquité à leurs divinités.

Les hommages rendus aux morts étaient autrefois également très festifs en Europe. C'était avant que le christianisme ne jette son dévolu sur toutes les fêtes païennes et avant qu'il n'impose la purification de la fin du XVI° siècle. Dans les Flandres il était courant de « croquer » la tête du mort lors de banquets funéraires festoyants. Après avoir sonné les cloches toute la nuit du 1° au 2 novembre, les jeunes hommes célibataires conduisaient une cérémonie d'apaisement des défunts avant tout destinée à les empêcher de revenir.

En Europe, on banquette sur les tombes des proches

La mort est un rite de passage fondamental pour les survivants
 
explique l'ethnologue Arnold Van Gennep.

En comparaison aux actuelles offrandes de nourriture pratiquées au Mexique, l'Europe du passé avait coutume d'organiser des banquets sur les pierres tombales de ses proches. C'était de véritables rituels d'agrégation entre les vivants et les morts. De cette façon, ces derniers continuaient d'appartenir à la communauté, ce qui était pourtant contraire aux prescriptions de l'Église établie qui insistait lourdement sur leur totale disparition. Le clergé du Moyen-Âge a donc échoué à éliminer les croyances païennes qui voulaient que les morts continuent à vivre parmi les vifs. Ces croyances étaient à la fois partagées par le peuple et par les élites. L’Église s'était pourtant doté d'une belle mécanique avec ses doctrines du XII° au XIV° siècle qui fournissaient des explications rationnelles et plausibles au sujet du devenir des âmes des trépassés :
l'enfer
l'existence du purgatoire
le paradis

L'invention du purgatoire servait à l'endoctrinement des survivants. Les âmes des défunts y attendaient comme dans une salle d'attente que leur descendance rachète leurs péchés. Après seulement, ils pourraient gagner leur place au paradis des âmes. Ainsi, si les âmes des justes attendaient au purgatoire, les revenants ne pouvaient venir que d'un seul endroit : l'enfer. C'était donc forcément des envoyés du Diable.

La Réforme de l'Église

La supercherie fut vite démasquée car le clergé profitait du contrôle qu'il opérait sur les récits de revenants et de fantômes pour pousser la population à faire des dons à l'Église contre des rachats de péchés et l'absolution. Ce fut un scandale dénoncé particulièrement par Martin Luther. Selon lui, le salut de l'âme est un libre don de Dieu, reçu par la repentance sincère et la foi authentique en Jésus-Christ comme le Messie, sans intercession possible de l'Église. C'est le début du protestantisme.

La Réforme catholique qui s'ensuivit dura dix-huit ans. C'est le 13 décembre 1545 que débute le Concile de Trente. Il se termine le 4 décembre 1563, après vint-cinq sessions. L’Église finit par distinguer de façon très manichéenne le Bien du Mal, le Paradis de l'Enfer. Dieu est dépeint comme une entité vengeresse qui punit les hommes de leurs péchés. Les hommes doivent durement lutter pour ne pas être séduits par le Diable et pour sauver leur âme. Dans cette optique, le démon prend une grande importance, plus concrète. Il est supposé s'attacher aux pas de sa proie humaine du berceau jusqu'à la tombe. Les démonologues chasseurs de sorcières, Bodin, del Rio, de Lancre et beaucoup d'autres, décrivent son effrayant royaume.

En conclusion

L'Église n'a pas réussi à éradiquer les croyances populaires malgré différentes inventions manipulatrices. Les morts sont biens présents autour de nous et les vivants continuent d'organiser des fêtes en leur honneur. Ces rites s'apparentent parfois aux offrandes faites aux Dieux Antiques. Ils sont souvent festifs et joyeux. Mais ceci n'empêche pas les esprits, parfois, de revenir. Et même ça, l'Église n'a pas pu l'empêcher.





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