Dans les premiers temps on n'offrait aux âmes que du miel, du lait, des œufs,
du pain et du vin ; mais quand les mœurs devinrent plus féroces on crut que les âmes des morts trouveraient plus de plaisir à
boire du sang qu'à manger des légumes. Cette folle et cruelle idée fit que d'abord on répandit sur la tombe le sang des animaux, et bientôt le
sang humain.
Les femmes, les concubines, les esclaves, les captifs qui avaient appartenu à ceux dont on voulait honorer la mémoire, expirèrent sous
les couteaux des sacrificateurs : c'était au milieu de ces affreuses hécatombes, au bruit des gémissements des victimes, et sur leurs membres palpitants que les amis du mort faisaient les
repas funéraires ; c'était alors qu'animés par le vin et par l'horreur du spectacle, ils appelaient le mort ; c'était alors que, croyant voir son âme sous la forme d'un spectre hideux, d'un
fantôme effroyable, ils lui disaient d'un ton lugubre et mal assuré :
Spectre ! tu t'es levé de ton tombeau ;
est-ce pour venir avec nous,
pour boire et manger comme nous ?
Quand ce festin barbare était fini, qu'on croyait l'ombre satisfaite, qu'il n'y avait plus de malheureux à immoler, et que les convives peut-être sentaient au fond du cœur le tourment du remords, ils quittaient brusquement la table, et
conjuraient le fantôme, que leur imagination échauffée leur montrait comme s'il eût été présent, de se retirer, et surtout de ne pas nuire à ses amis....